Vita et Harold, un couple hors du commun
- Par delphinedalleur
- Le 18/11/2018
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- Dans Rêveurs d'Europe
En 1913, le diplomate et écrivain britannique Harold Nicolson épouse la romancière Vita Sackville-West. Personnalités hors du commun, ils vont former à eux deux un couple non moins ordinaire qui lèguera, notamment, à l’Angleterre un ensemble de jardins fabuleux.
L'entrée de Knole House (Kent), domaine familial des Sackville.
Vita Sackville-West en 1918, par William Strang.
Harold et Vita en 1913.
Vita, l’amazone talentueuse (1892–1962)
Voyageuse, mondaine, écrivaine depuis son plus jeune âge : poèmes, romans, biographies, pièces de théâtre à caractère historique, conseils de jardinage, elle a touché à tous les genres y compris le journal intime sans compter une abondante correspondance. « Mère m’a grondée ce matin, parce qu’elle trouve que j’écris trop, et Dada (Père) lui a dit qu’il n’approuve pas cette activité… Mère ne sait à quel point j’aime écrire » se confia-t-elle.
« En un peu plus de quatre ans, entre 1906 et 1910, elle écrivit huit romans et quatre pièces de théâtre (…) elle trouvait des sujets tout prêts dans l’histoire de Knole et des Sackville » relata son fils, Nigel, dans Portrait d’un mariage. Issue des nobles et antiques familles des Sackville et des de La Warr, habitant le domaine séculaire de Knole House, dans le Kent, Vita vécut là une enfance de sauvageonne gâtée, aimant profondément la vieille demeure où elle jouait à se perdre ainsi que la campagne et les bois environnants avec leurs aventures solitaires qui nourrissaient sa créativité. Son caractère imprévisible et excentrique lui venait de son grand-père, Lionel Sackville, anticonformiste notoire qui avait aimé une danseuse espagnole et lui avait fait cinq enfants, tous élevés à Knole. Celle-ci fut « titrée » Lady Sackville sans qu’aucun mariage n’ait été célébré. Il finit par l’avouer peu avant sa mort ! L’une de ses filles – la mère de Vita – était tout aussi libre d’esprit et rebelle et « remorqua après elle soupirants et amants » – riches et célèbres dont Rodin ! – tout au long de sa vie avec « des crises de folle extravagance ». Vita avait donc de qui tenir. Nigel dira de celle-ci qu’elle était à la fois « gitane et grande dame » mais qui tenait à son rang. Rien d’étonnant à ce qu’elle se soit comportée comme une conquérante, dans sa vie sociale et artistique comme dans sa vie amoureuse, reconnaissant parfois son « manque de délicatesse. » mais possédant un indéniable magnétisme et un ascendant peu ordinaire.
Violet Tréfusis en 1919, portrait de William Bruce Ellis Ranken.
Violet. Sa première passion, – certes entre deux très jeunes femmes – qui eut un fort retentissement dans le milieu corseté de l’aristocratie, fut pour la poétesse Violet Tréfusis, fille d’Alice Keppel, la célèbre maîtresse du prince de Galles, avec laquelle elle échangea de nombreuses lettres enflammées, laissant leurs gentlemen de maris aussi déconcertés l’un que l’autre. Car pendant ces années d’amours tendres et orageuses, elles s’étaient mariées. Vita par « inclination » pour Harold, Violet par convenance, qui n’admit jamais de devoir renoncer à Vita. Ne lui fit-elle pas cet aveu, d’une puissance poétique percutante : « Je vous aime Vita, parce que j’ai vu votre âme » ?
Les romans de Vita les plus connus sont La traversée amoureuse, Infidélités, Toute passion abolie, Au temps du roi Edouard, Plus jamais d’invités ou Haute Société, dans lesquels elle porte un regard aiguisé et caustique sur ses contemporains. En 1931, elle publie la première traduction, en collaboration avec son cousin Edward Sackville-West, des Élégies de Duino du poète Rainer Maria Rilke. Elle laissa également des recueils de poésies qui furent primés ainsi que des récits de voyages. Ses pièces de théâtre ne sont pas restées dans les annales.
Virgina Woolf en 1927.
Virginia. Sa rencontre avec la romancière Virginia Woolf, épouse de Leonard Woolf son éditeur, marqua un tournant dans sa vie affective et littéraire. Son attirance pour la romancière – d’abord faite d’affinités communes plus que physiques – se mua en une liaison ardente avec effusions et crises de jalousie et donna lieu à une copieuse correspondance pendant dix-huit années. Ainsi qu’à un étrange roman : Orlando. En 1928 Virginia Woolf inspirée de la vie de Vita crée une pseudo-biographie dans laquelle le héros traverse les siècles et change de sexe. Nigel lui attribua le qualificatif de « (la) plus longue et (la) plus charmante lettre d'amour de la littérature (…) une messe commémorative. ». Leur attachement, culturel et littéraire, se prolongea jusqu’à la mort tragique de Virginia en 1941.
Rien d’étonnant donc que l’immense friche du domaine de Sissinghurst et ses ruines romantiques aient séduit cette femme originale et déterminée, comme une immense page vierge sur laquelle il y avait tout à écrire. Vita possédait un irrépressible besoin de faire fructifier son imagination ; elle sut la canaliser au contact rassurant de la terre et de Harold.
Harold, le sage (1886-1968)
« C’est une personne très sauvage que vous allez épouser » prévient Vita qui se considérait comme « suprêmement inépousable », quelques mois avant leur mariage en 1913. Issu d’un milieu aristocratique de diplomates, élevé dans les meilleurs collèges, Harold Nicolson avait une personnalité opposée à celle de Vita. Ils n’étaient pas voués à se rencontrer « mais je l’aimais plus que tout, comme un compagnon et un camarade de jeu ainsi que pour son intelligence et son délicieux caractère. » dira-t-elle dans son journal. Bisexuel lui aussi, il ne lui faisait pas d’ombre ! Mais ils eurent l’un pour l’autre un réel attachement jusqu’à la fin de leur vie, « amarrés tels des navires jumeaux ».
Diplomate comme son père, Harold travailla durant la Première Guerre mondiale au Foreign Office et participa à la Conférence de la Paix à Paris en 1919 dont il rédigea le compte rendu. Puis il devint le secrétaire particulier de Lord Curzon. Bien que très occupé par sa carrière diplomatique, il prit le temps d’écrire des biographies comme celles de Tennyson, Byron, Verlaine ou Swinburne. Il occupa des postes à Madrid, Constantinople, Téhéran et Berlin puis, en 1929, il quitta la diplomatie pour se consacrer à l’écriture. Ainsi se fit-il historien, essayiste et chroniqueur dans la presse et ce que les Anglais appellent un « diarist » car tenant son propre journal. Pendant la Seconde Guerre mondiale, W. Churchill le nomma sous-secrétaire d’État à l’information. Puis il entra en politique qu’il abandonna rapidement – reconnaissant une erreur – pour revenir à la littérature et devenir un auteur prolifique. Il écrivit une vie de George V qui lui valut d’être anobli. Il rédigea un important journal qui fait encore référence de nos jours, traduit en français sous le titre de Journal des années tragiques 1936-1942, paru chez Grasset en 1971. Parallèlement, il laissa un journal intime, témoin de la vie littéraire, artistique et politique européenne de 1907 à 1964, qui fut édité par son fils Nigel en 2004 et qui connut un grand succès de librairie.
Portrait of a Marriage
Vita et Harold formèrent un couple caractéristique de la nouvelle génération d’aristocrates anglais, parfaitement complémentaires, modernes, sans tabou ni idées préconçues, actifs et mondains à la fois, car tout en menant une vie sociale exubérante et brillante, ils travaillèrent beaucoup et « gagnèrent leur vie ». Contrairement à de nombreuses familles d’aristocrates qui refusèrent longtemps de révéler leurs domaines privés au grand public, ils eurent à cœur d’ouvrir leur propriété de Sissinghurst à la visite dès 1938, contre… un shilling. Car si « elle attachait une importance exagérée à la naissance et à la fortune, elle considérait l’aristocratie comme très proche des classes laborieuses, surtout des travailleurs ruraux » commente Nigel (cf. l’article sur Sissinghurst dans la rubrique Génies des lieux).
Ils écrivirent jusqu’à la fin de leur vie. Le dernier roman de Vita parut en 1961. Elle mourut un an plus tard.
Ils eurent deux fils : l'historien de l'art Benedict Nicolson (1914-1978) connu pour ses biographies de Wright of Derby et Georges de La Tour, et l'écrivain et éditeur Nigel Nicolson (1917-2004). Nigel immortalisa ses parents dans un livre devenu célèbre, Portrait d’un mariage, constitué du journal intime de Vita et de ses commentaires, faisant l’éloge de l’équilibre puisé à la fois dans la vie de couple et dans l’amour libre.
Delphine d'Alleur
Bibliographie
- Nigel Nicolson – Portrait d’un mariage, éditions Stock, 1992.
- Vita Sackville-West – Violet Tréfusis, Correspondance 1923-1941, éditions Stock, s.d.
- Harold Nicolson par John Simkin, Spartacus-educational.com
- Violet Tréfusis – Lettres à Vita, éditions Stock, 2001.
- The letters of Vita Sackville-West and Harold Nicolson 1910-1962, Nigel Nicolson Publisher, 1992.
Source des illustrations
Sauf mention contraire, Wikimedia Commons.
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